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Une initiative pour les artisans du bâtiment : CREBA.

Ou comment accompagner la transition énergétique de notre parc immobilier datant d’avant 1948.


Le 29 novembre dernier, Connaixens assistait à Bordeaux, au colloque de lancement du Centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (CREBA). Au programme de la matinée, la présentation d’une plateforme en ligne à destination des artisans – mais également des architectes et des maîtres d’ouvrage.

Après les introductions d’Anne Walryck, vice-présidente de Bordeaux Métropole, et de l’ancien ministre et président de l’association Sites et Cités remarquables de France, Martin Malvy, le propos du jour est d’emblée cadré. Le CREBA répond à un enjeu complexe et inévitable : comment assurer la transition énergétique de nos villes et villages existants, dans le respect du patrimoine qu’ils représentent ? Nous avons en effet tous mesuré le danger des lois Grenelle dans les médias plus ou moins spécialisés, avec notamment l’isolation thermique par l’extérieur (ITE) sur les façades richement décorées. Les premiers travaux d’isolation thermique sont par ailleurs les menuiseries. Nombre de menuiseries sont aujourd’hui changées, sans autorisation, en privilégiant le PVC. Ce matériau, hautement toxique, reste certes un isolant phonique et thermique populaire, accessible à toutes les bourses. L’enjeu est donc majeur.




Qu’est-ce que le CREBA ?


Le CREBA, mis en ligne il y a un mois, démarre son ascension numérique sur les chapeaux de roues : plus de 5 000 consultations et 20 000 pages affichées. Son objectif est de capitaliser sur les ressources et les nombreuses initiatives d’acteurs publics et associatifs (DREAL, CAUE, PNR, Maisons Paysannes de France, collectivités entre autres), ainsi que le rappelle Julien Burgholzer, coordinateur de l’équipe.

La plateforme CREBA est une initiative portée par un consortium d’acteurs – Maisons paysannes de France, Sites et Cités remarquables de France, l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse, le CEREMA ou l’Ecole des Arts et Métiers Paris Tech. Elle est soutenue par le programme PACTE. Elle propose une base documentaire, des retours d’expériences, un réseau d’acteurs identifiés et un outil référence pour l’aide à la décision : la guidance wheel. Les valeurs socles de cette initiative sont l’amélioration de la performance énergétique du bâti ancien, la conservation des valeurs architecturales et patrimoniales et la prise en compte de ses spécificités techniques et physiques. La signature d’une charte de réhabilitation du bâti ancien, reprenant ces trois valeurs, en garantit le caractère responsable.


La base de données documentaire, aujourd’hui constituée de 300 ressources, est triée par plusieurs niveaux de filtres. Loin d’être complète, elle a vocation à être incrémentielle et les propositions de ressources sont les bienvenues. De même que les retours d’expérience de chantiers sont à recueillir !

Connaixens, facilitateur d’accès à la donnée, s’est interrogée sur la disponibilité et l’accessibilité des ressources proposées. Il conviendrait en effet, au-delà d’une indexation par type de travaux et par zone géographique, de profiler les données en fonction des publics cibles. Car, en effet, si l’artisan est très nettement le premier destinataire de cette connaissance – au regard des observations issues de la recherche que nous avons pu produire dans le cadre de notre thèse – le CREBA ne peut faire l’impasse sur le champ de l’auto-réhabilitation et des artisans non spécialistes. Ils sont nombreux à œuvrer pour le renouvellement de nos centres anciens. Ce qui, de fait, conduit à une toute autre réflexion sur la communication qui doit accompagner le CREBA. Nous y reviendrons.


Sur l’exemple britannique de STBA (Sustainable Traditionnal Buildings Alliance), la plateforme CREBA a intégré également une roue d’aide à la décision, la guidance wheel. Elle permet de croiser trois problématiques, huit paramètres de contexte et 3 000 notes. 72 interventions ont été profilées conjuguant les enjeux techniques, patrimoniaux et énergétiques. A tester ! Une fois le bouquet de données définies, un rapport des points de vigilance, des solutions et des ressources adaptées à votre cas d’étude est éditable. Cette roue peut ainsi :

- Contribuer à un changement des pratiques des artisans, permettant d’évaluer les risques au plus près, en considérant le bâti ancien avec ses spécificités techniques.

- Accompagner dans leurs prescriptions les architectes et les maîtres d’ouvrage.

- Accompagner la pédagogie des travaux à destination des propriétaires.



Trois publics cibles et des enjeux multiples


Nous proposons de reprendre les trois objectifs précédemment cités et de les éclairer par notre lecture sociologique des situations d’acteurs qui se jouent autour d’un projet de réhabilitation.


1. Contribuer à un changement des pratiques des artisans, permettant d’évaluer les risques au plus près, en considérant le bâti ancien avec ses spécificités techniques.

La guidance wheel, un outil très innovant, est un véritable défi d’accessibilité pour les professionnels. L’inclusion numérique des artisans est en effet à interroger face à ce type d’accompagnement, très loin du chantier, et pour une certaine génération très excluante. Le STBA a témoigné d’un accompagnement spécifique des professionnels anglais pour que la guidance wheel intègre la pratique des acteurs. Il apparaît essentiel de s’en inspirer, voire d’intégrer un tutoriel simplifié à cet outil. Des formations peuvent également être imaginées. L’équipe Connaixens, futurs formateurs du CIP Patrimoine pour la CAPEB, pourrait intégrer son utilisation dans un module pratique, après avoir été formée à son utilisation.


2. Accompagner dans leurs prescriptions les architectes et les maîtres d’ouvrage.

Il convient ici de rappeler combien le socle de connaissances du bâti ancien – et des protections du patrimoine – fait défaut aux enseignements des écoles d’architecture aujourd’hui. La ressource inédite que constitue le CREBA pourrait être un support à la formation des maîtres d’œuvre, mais elle doit être saisie et assumée par des enseignants spécialistes – ou désireux de le devenir –, et non portée comme une simple solution pratique, sorte de foire aux questions pour étudiants, ayant suivi une démarche de projet dite « classique ». Car il y a là une méthodologie à intégrer et à éprouver, qui ne peut être abordée superficiellement. Réhabiliter l’ancien est un changement de paradigme face à l’enseignement actuel du « projet ». Plusieurs actualités récentes, telle que l’impulsion donnée par le ministère de la Culture et de la Communication à la formation des architectes à l’existant, ou la directive européenne de Leuwardeen sont des actualités encourageantes autour desquelles le CREBA peut impulser de la nouveauté dans les contenus des formations en ENSA.

3. Accompagner la pédagogie des travaux à destination des propriétaires.

Une éducation citoyenne à la propriété d’un bâtiment ancien, à son entretien et à la provision régulière de ressources pour mettre en œuvre celui-ci, est indispensable. Car si la tendance pour l’accès à la propriété demeure la maison individuelle périurbaine, la réduction du foncier disponible va contraindre les propriétaires à s’intéresser au parc existant. La guidance wheel peut, en effet, accompagner la démarche pédagogique, mais il ne saurait en être le seul accessoire. Nous en revenons à la nécessaire communication de cette démarche et des ressources qui y sont associées.



L’enjeu de la communication : une tendance à inverser


À l’occasion d’un des ateliers de l’après-midi sur le sujet de la formation, la problématique de la demande d’une réhabilitation consciente et responsable, condition sine qua none de l’émergence d’une offre nouvelle et des besoins de formations liés, a été évoquée. Or, il faut être conscient d’un constat récurrent : rares sont les propriétaires à prendre en compte la spécificité du bien immobilier ancien à l’occasion d’une démarche de travaux. Le contexte économique et médiatique a imprimé dans l’imaginaire collectif un référentiel. L’auto-réhabilitation est incitée avec l’utilisation de matériaux dits de grande distribution (Castorama, Leroy Merlin…). Les entreprises, dotées d’une communication télévisuelle notamment, ont envahi le marché (Lapeyre, Tryba, Arts&Fenêtres pour les menuiseries par exemple). Ainsi que l’a fait remarquer Sabine Basili, vice-présidente de la CAPEB, dont l’analyse rejoint nos travaux de recherche doctorale.


Connaixens voit dans la démarche du CREBA un acte militant. Il doit se doubler d’une action en communication à grande échelle en direction du public propriétaire individuel et collectif, voire d’un lobbying. Des pistes peuvent être imaginées en ce sens. Une communication conjointe avec les associations nationales des architectes des bâtiments de France et des architectes du patrimoine ne pourrait-elle être envisagée ?


Poursuivre l’innovation sociale que constitue la plateforme numérique d’accès à la connaissance du CREBA semble être également pertinent. Pourquoi ne pas sensibiliser les marchands de matériaux du marché de l’auto-réhabilitation pour amorcer des innovations dans la filière des matériaux anciens qui seront l’avenir ? Innover dans la production et les techniques de mise en œuvre est le défi de demain pour reconstituer une filière compétitive et poursuivre le sur-mesure dans un contexte de massification, ainsi que l’évoquait Sabine Basili. Leroy Merlin, qui accompagne les copropriétaires dans leur démarche d’auto-réhabilitation par de la formation aux travaux de rénovation énergétique, pourrait être ciblé. Connaître les savoir-faire, connaître les circuits d’approvisionnement des matériaux sont des impératifs pour restaurer la confiance des propriétaires. Il est nécessaire de banaliser un écosystème trop complexe pour lui.


Le CREBA en innovant par l’accessibilité donnée à une connaissance pour tous, centralisée et indexée, pose une première pierre à l’édifice de la transmission. Mais si la prise en compte du bâti passe par sa connaissance certes, ce savoir doit être visible et accompagné. Positionner les contenus dans le parcours de l’utilisateur, et non uniquement mettre à disposition, en est la clé. Nous opérons ce changement de focale chez Connaixens, avec notre souhait, pour la plateforme Comprendre la ville, de placer le contenu culturel dans le parcours réglementaire et administratif d’une démarche d’urbanisme. Nous pourrions contribuer au CREBA en apportant notre expertise pour mettre en œuvre ce type d’outils.



Des suggestions en lien avec Connaixens


Suite à cette journée de présentation, Connaixens s’interroge sur la prise en compte de la réglementation urbaine, et au-delà, de la connaissance urbaine qui lui est associée, et qui conditionne la mise en œuvre des travaux. Nous avons en effet développé l’outil Comprendre la ville, avec la volonté de rendre accessible cette connaissance spécifique pour les demandeurs de travaux. Rémi Desalbres, président des architectes du patrimoine, a soulevé lors de son intervention la pertinence du CREBA qui centralise de nombreuses connaissances jusque-là dispersées. Comprendre la ville s’est donné ce même objectif. Des passerelles pourraient être envisagées, pour éclaircir par exemple les secteurs protégés, définis actuellement dans le glossaire du CREBA. Le blog de Connaixens publie régulièrement des articles présentant les acteurs et les protections du patrimoine, sur lesquels le CREBA peut s’appuyer s’il le souhaite. De plus, l’accompagnement administratif des travaux que nous avons développé, avec notamment le site https://www.ma-demande-de-travaux.com, un outil d’aide au choix du CERFA, nous apparaît complémentaire. Il pourrait être mis à disposition dans la rubrique « outils ».


Connaixens est par ailleurs intégrée à la coopérative d’entrepreneurs Crealead à Montpellier. Au sein de cette coopérative, plus d’une trentaine d’artisans du bâtiment, non spécialistes de l’ancien, se sont réunis au sein d’un regroupement nommé CREABAT. Il pourrait constituer un panel test pour l’expérimentation de formations, d’accompagnement à la communication et de l’utilisation de la guidance wheel.

Enfin, suite aux échanges de l’atelier formation, et dans une logique de partage de la responsabilité pour la mise en œuvre d’une réhabilitation énergétique efficiente du parc bâti ancien, nous proposons d’accompagner le CREBA dans une réflexion à la création d’un outil de communication locale : une charte ou un label territorial(e) (sur le modèle lyonnais de la charte de ravalement), avec les réseaux de collectivités. La question du territoire a été posée comme problématique pour l’accès aux savoir-faire et pour la mise en place de formation. Nous proposons d’associer à la démarche de Site patrimonial remarquable, engagée par une collectivité, cet outil qui permettrait à tout artisan attestant d’une spécialité d’être identifié comme fournisseur d’un service de qualité. La formation des maîtres d’œuvre étant exigée pour réaliser des travaux responsables et aidés, celle-ci mobiliserait à nouveau. Spécifique au territoire, elle redynamiserait la transmission des savoir-faire localement.


Le CREBA a appelé de ses vœux la constitution d’un réseau de contributeurs et d’acteurs pouvant faire vivre cette nouvelle ressource en ligne, et est désireux de fédérer autour de cette initiative des compétences et des contributions complémentaires. Connaixens, vous l’aurez compris, souhaite collaborer à cette belle énergie !


Julie Marchand

Docteure en sociologie urbaine

Co-fondatrice et médiatrice scientifique chez Connaixens

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